Pour ceux qui ne seraient pas nés au début des années 80, oui, vous, les vieux, les frippés, les gaufrés, Menace II Society est un film, disons... de genre. Quartier chaud de L.A., violence urbaine, BO west coast et des tas de noirs aux pantalons qui tombent. Quand on regarde ça ado, on se dit "waouh, la grosse claque dans ma gueule ! On élargit son vocabulaire d'argot English grâce au nombre incalculable de "Bitch" et "Nigga". Après un Scarface et ses "fuck" à tire larigot, à 15 berges on se prend pour un caïd. Un film avec du rap, des mecs qui se canardent, ça parle de drogue, c'est un truc de ouf !" et quand on a 30 piges, on se dit "Mais tiens au fait, ça parlait de quoi dans le fond ce film ?" Même si ce n'est pas une référence en soi, le Festival de Cannes, où il avait été repéré, avait à l'époque salué la prouesse de ses deux réalisateurs de 21 ans.
Pour resituer l'action, Caine, jeune lycéen, vient d'avoir son bac et se demande ce qu'il va en faire. Parents morts des travers de la rue, seuls les grands-parents et deux amis (un futur Malcolm X et un joueur de foot, les seules voies possibles ?) le poussent à poursuivre les études. Le temps d'un été, Caine va devoir faire un choix : trainer dehors et vivre la vie presque obligée de son quartier (deal, règlements de compte et violence gratuite) ou faire le réel effort de se couper d'un milieu mortifère et prendre son destin à deux mains. Et puis il y a une petite minette, Ronnie, mi inaccessible, mi salvatrice (Jada Pinket à l'époque où sa pince à épiler ne s'approchait pas de ses sourcils), nana du mentor de Caine, en tôle. Celle-ci lui propose de la suivre et vivre ailleurs. Caine a donc l'embarras du choix. Telle un chant de sirène, la violence et la drogue sont les tentations les plus fortes, celles qui vont le charmer les premières. "On n'échappe pas à son environnement" pourrait être le pitch (la petite phrase d'accroche des affiches de film) du 1er long des "Hughes Brothers". Caine n'a effectivement "qu'à se baisser" en sortant de chez lui. Seringue, "gros fer" (voitures de luxe), junkie, armes à feu et filles faciles, Caine s'essaye à la vie de dealer, beeper en poche (90's oblige, nous avions bien nos Alphapage, Tatoo, Tam-Tam et autres Kobby...).
Tremplin vers une carrière d'acteur pour bon nombre de rappeur U.S (The murder was the case: the movie avec Snoop Doggy Dogg, alors qu'est-ce qu'on attend?), les G-movies ont, comme beaucoup de genres, laissé apparaitre un tas de nanars, pour la plupart disponibles chez nous en "direct to vidéo" pour combler la fascination des fans hardcore de G-funk. C'était l'occasion pour les boutonneux (parle pour toi) que nous étions de découvrir la "street life" comptée par nos rappeurs préférés. Il y avait Original Gangsta (Pam Grier), Above the Rim (Gangball, avec 2pac, dans votre VidéoFutur de l'époque), Sunset Park (connu pour sa B.O immense), Poetic justice (pour les fleurs bleues), The Substitute (avec Tom Berenger, repenti depuis) et son clone féminin Dangerous Mind (Esprits rebelles, sur lequel Coolio nous faisait hocher la tête avec son Gangsta's Paradise, et dont Michel Pfeiffer ne s'est jamais remise) ou encore New Jack City de Mario Van Peebles avec Westley Snipes et Ice-T. Film phare des G-movies qui ont pullulé pendant les années 90, à l'instar de Boyz in The Hood qui révéla John Singleton (Il fait quoi maintenant ?...), Menace 2 Society frappe pour son portrait encore vrai aujourd'hui (voir pire) de la "Ghettoyouth attitude" comme le disent les casquettes vertes des tours HLM. Par exemple, O-dog reste un personnage culte (voir la scène du burger) malgré le surjeu de Larenz Tate. Les femmes, le machisme et la fierté masculine, l'amitié "virile", la mentale, tous les détails de la vie de voyous, de gangster même, sont présents. Le film frappe au visage comme un coup droit "d'Iron Mike" Tyson car dans les gangs de L.A, contrairement aux Affranchis et autres mafias comme on les connait, pour la moindre broutille tout prend une dimension paroxysmique. Le moindre mot de trop, le moindre pas hors des clous se paie cher et sur la place publique. Pour grandir, on doit écraser les autres, si possible en toute impunité et de manière désinvolte, au risque de ce faire écraser soi-même.
C'est peut-être aussi le sort réservé aux Frères Hughes une fois arrivés à Hollywood sur le piédestal cannois. Avec leur jeune âge, les frangins n'ont pas tant brillé par la suite, malgré des projets alléchants (From Hell , adapté du roman graphique d'Allan Moore, rien que ça). Il faudra attendre 2010 et Le livre d'Eli pour les retrouver en forme. Maintenant que le tour de chauffe est fait on a hâte de voir la suite.